Le Proxénétisme Légalisé ? La Loi Belge sur le Travail du Sexe Salarié au Cœur d’une Polémique Internationale

La loi belge sur le travail du sexe salarié, entrée en vigueur le 1er décembre 2024, marque un tournant historique dans l’approche de la prostitution en Belgique. Pour la première fois, les travailleuses et travailleurs du sexe peuvent désormais signer un contrat de travail avec un employeur, accédant ainsi à des droits sociaux tels que la sécurité sociale, les congés maladie et une pension de retraite. Présentée comme une avancée vers une meilleure protection des personnes prostituées, cette réforme divise profondément. D’un côté, des associations comme Utsopi et Bunniz soutiennent cette légalisation, voyant dans le statut de salarié une reconnaissance du travail sexuel comme une profession légitime. De l’autre, neuf organisations belges, appuyées par un mouvement international, ont saisi la Cour constitutionnelle pour demander l’annulation de la loi, dénonçant une légalisation déguisée du proxénétisme et une institutionnalisation de l’exploitation sexuelle. Cet article explore en profondeur les enjeux de cette réforme, les arguments des deux camps, et les implications pour les travailleuses du sexe.
Une Réforme Historique sous le Feu des Critiques
Adoptée après des débats parlementaires houleux, la loi belge du 1er décembre 2024 autorise les travailleuses et travailleurs du sexe à bénéficier d’un cadre légal similaire à celui des autres professions. Ce texte, porté par des défenseurs de la décriminalisation du travail sexuel, vise à offrir une meilleure protection sociale et à réduire la stigmatisation des personnes prostituées. Cependant, dès son élaboration, la réforme a suscité une opposition farouche de la part d’associations féministes, de juristes et de survivantes de la prostitution, qui y voient un pas en arrière dans la lutte contre l’exploitation. Le 25 mars 2025, neuf organisations belges, dont l’asbl Isala, ont déposé un recours auprès de la Cour constitutionnelle pour demander l’annulation de la loi. Soutenues par plus de 120 personnalités et organisations internationales, ces associations dénoncent un texte qui, selon elles, légitime un système fondé sur l’exploitation sexuelle. Mireia Crespo, directrice d’Isala, résume leur position avec force : « Le proxénète devient un chef d’entreprise reconnu, et l’exploitation des femmes est maquillée en progrès social. »
Les Arguments des Opposants : Une Légalisation du Proxénétisme ?
Une Sécurité Illusoire pour les Travailleuses du Sexe
Pour les opposants, la promesse d’une meilleure sécurité pour les travailleuses du sexe est un leurre. Ils estiment que le contrat de travail place les travailleuses dans une position de vulnérabilité accrue. Dans un secteur où le client impose ses exigences, le prétendu « consentement » des travailleuses est fragilisé par la précarité économique, les pressions sociales et les dynamiques de pouvoir. « Refuser un client, c’est risquer de perdre son emploi ou sa sécurité », explique une représentante d’Isala. Les boutons d’urgence prévus dans les lieux de travail, bien que présentés comme une mesure de protection, ne suffisent pas à compenser les violences structurelles inhérentes à la prostitution. Les opposants s’appuient sur des exemples internationaux pour étayer leurs craintes. En Allemagne, où la prostitution a été légalisée en 2002, le marché de la traite des êtres humains et de la prostitution clandestine s’est considérablement développé. Surnommé « le bordel de l’Europe », le pays a vu une augmentation du nombre de femmes travaillant dans des conditions précaires et dangereuses, souvent dans l’ombre des cadres légaux. Les associations belges redoutent que la nouvelle loi n’aboutisse à des résultats similaires, transformant la Belgique en une nouvelle plaque tournante de l’exploitation sexuelle.
L’Impunité des Clients Prostitueurs
Un autre point central de la critique concerne l’absence de responsabilisation des clients prostitueurs. À une époque où le mouvement #MeToo a mis en lumière les violences sexistes et sexuelles, les opposants s’interrogent : « Comment accepter qu’un système institutionnalise l’achat du corps d’une femme par un homme ? » Pascale R., survivante de la prostitution, dénonce une loi qui, loin de protéger, perpétue les inégalités patriarcales, racistes et de classe. Selon elle, la légalisation du travail du sexe salarié normalise un système où les hommes peuvent monnayer l’accès au corps des femmes sans remise en question des dynamiques de pouvoir.
Une Alternative : Le Modèle Abolitionniste
Face à la légalisation, les associations opposées plaident pour un modèle abolitionniste, comme celui adopté en Suède (depuis 1999) et en France (depuis 2016). Dans ces pays, la prostitution est abordée comme une forme de violence sexiste. Les clients sont pénalisés, tandis que les personnes prostituées bénéficient d’un accompagnement social pour sortir du système. En Suède, ce modèle a permis de réduire la demande d’actes sexuels tarifés, de diminuer la traite des êtres humains et de transformer les mentalités sociétales. Les opposants à la loi belge appellent à une approche similaire, centrée sur la dignité et la liberté des femmes, plutôt que sur la régulation d’un système jugé oppressif.
Une Mobilisation Internationale
La contestation de la loi belge s’inscrit dans un mouvement mondial. CAP International, un réseau global pour l’abolition de la prostitution, soutient le recours devant la Cour constitutionnelle. Selon l’organisation, « la nouvelle loi belge légitime un système qui perpétue les oppressions patriarcales, racistes et de classe ». Les associations belges, comme Isala, insistent sur la nécessité d’offrir aux travailleuses du sexe un accompagnement vers une vie libre, plutôt qu’un contrat de travail qui les enferme dans un système d’exploitation.
Les Défenseurs de la Loi : Une Avancée pour les Droits Sociaux
Le Soutien d’Utsopi et Bunniz
Face à cette opposition, des organisations comme Utsopi et Bunniz défendent ardemment la réforme. Utsopi, qui représente les travailleurs et travailleuses du sexe indépendants, voit dans le contrat de travail une avancée majeure vers la déstigmatisation et la protection sociale. Daan Bauwens, porte-parole d’Utsopi, déclare : « Un contrat de travail reste la meilleure arme contre l’exploitation. Il donne aux travailleuses du sexe les mêmes droits que les autres travailleurs : sécurité sociale, congés maladie, retraite. » Selon l’organisation, ces droits permettent aux travailleuses de gagner en autonomie et de quitter plus facilement le travail du sexe si elles le souhaitent. Bunniz, une autre association belge active dans la défense des droits des travailleuses du sexe, partage cette vision. L’organisation souligne que la reconnaissance du travail sexuel comme une profession légale permet de sortir les travailleuses de l’ombre et de leur offrir une protection juridique. Bunniz insiste également sur l’importance de donner une voix aux travailleuses du sexe elles-mêmes, qui sont souvent exclues des débats sur leur propre réalité.
Une Distinction Cruciale : Travail Sexuel Volontaire vs. Traite
Utsopi et Bunniz mettent en avant la nécessité de distinguer le travail sexuel volontaire de la traite des êtres humains. Selon elles, les travailleuses du sexe, grâce à leur expérience sur le terrain, sont les mieux placées pour identifier et signaler les cas de violence, d’exploitation ou de traite. En légalisant leur activité, la loi leur permet de travailler dans des conditions plus sûres et de collaborer avec les autorités pour lutter contre les abus. « Les travailleuses du sexe ne sont pas des victimes par défaut. Beaucoup choisissent ce métier et méritent des droits, pas de la stigmatisation », insiste Utsopi.
Opposition au Modèle Suédois
Les défenseurs de la loi s’opposent fermement au modèle abolitionniste suédois, qu’ils jugent répressif et contre-productif. Selon Utsopi, pénaliser les clients, comme en Suède, pousse le travail du sexe dans la clandestinité, exposant les travailleuses à un risque accru de coercition, de violence et d’exploitation. « Le modèle suédois ne distingue pas le travail sexuel volontaire de la traite des êtres humains. Il prive les travailleuses de protections juridiques et les marginalise davantage », explique Bunniz. En revanche, la loi belge offre un cadre légal qui permet de réguler le secteur et de protéger celles et ceux qui choisissent ce métier.
Les Enjeux d’un Débat Complexe
Ce débat cristallise deux visions opposées de la prostitution : est-elle un travail légitime méritant reconnaissance et droits, ou une forme d’exploitation systémique qu’il faut abolir ? Pour les opposants, la loi belge risque d’aggraver les inégalités et de normaliser un système oppressif. Pour les défenseurs, comme Utsopi et Bunniz, elle représente une étape vers l’émancipation des travailleuses du sexe, en leur offrant des droits et une dignité trop longtemps niés. Les implications de cette réforme dépassent les frontières belges. La décision de la Cour constitutionnelle, attendue dans les mois à venir, pourrait influencer d’autres pays confrontés aux mêmes questions. En attendant, le débat reste vif, et les voix des travailleuses du sexe, qu’elles soutiennent ou critiquent la loi, doivent être au centre des discussions.
Pourquoi ce Sujet est-il Crucial ?
La question du travail du sexe touche à des enjeux fondamentaux : droits humains, égalité des genres, lutte contre la traite et protection sociale. La Belgique, à la croisée des chemins, doit trouver un équilibre entre la protection des personnes prostituées et la prévention des abus. La mobilisation des associations, qu’elles soient abolitionnistes comme Isala ou favorables à la régulation comme Utsopi et Bunniz, montre l’urgence de repenser notre approche de la prostitution dans une société en quête de justice et d’égalité.